8/10Monsieur Mardi-Gras Descendres

/ Critique - écrit par iscarioth, le 15/09/2005
Notre verdict : 8/10 - Fort de café ! (Fiche technique)

Tags : descendres monsieur liberge eric tome editeur purgatoire

La série n'est pas de celles qui fédèrent autour d'un scénario clair, limpide et concret, mais devrait surprendre une très large majorité de lecteurs pour sa qualité graphique exceptionnelle et sa créativité sans limites...

La genèse

Monsieur Mardi-Gras Descendres, pour Eric Liberge, c'est l'oeuvre de toute une vie. « Ce projet [...] s'est imposé dans les marges de mes cahiers d'école vers 1977 » écrit l'auteur dans la préface du quatrième tome. Les premières incursions publiques de Monsieur Mardi-Gras Descendres arrivent en 1996 avec quelques revues qui en publient de courts extraits. Puis, en 1998 ; le tome 1, Bienvenue !, est publié chez l'éditeur aujourd'hui disparu Zone Créative. Prix René Goscinny 1999, l'album est réédité chez Pointe Noire. En 2002, après trois tomes, Liberge délaisse sa série phare pour s'investir dans d'autres projets (notamment le très remarqué Tonnerre Rampant chez Soleil). En 2004, la collection Empreinte(s) de Dupuis s'approprie les trois premiers tomes en les rééditant et Eric Liberge réinvestit sa série phare en réalisant un quatrième et dernier tome, Le Vaccin de la Résurrection, qui vient, en cette rentrée 2005, donner une conclusion à la série.

L'histoire

Victor Tourterelle est mort. Il se réveille sur une grande surface lunaire et désertique. De son apparence corporelle terrestre, il n'a gardé que son squelette. Personne n'est là pour l'accueillir pendant de longs moments. C'est alors que le facteur 23 vient à sa rencontre, pour régler quelques formalités administratives. Son nom dans l'au-delà sera désormais Mardi-Gras Descendres.

Post-Mortem inédit


Monsieur Mardi-Gras Descendres
se situe au-delà de tout ce que l'on a déjà publié en bande dessinée. Jamais l'on aura représenté l'après-mort sous cette forme. C'est du jamais vu, ni lu. « Sur terre, on nous parlait d'une grande lumière » lance Victor, dépité, à son arrivée. A son arrivée où, d'ailleurs ? Il ne le sait pas... Et le lecteur non plus. L'au-delà est un monde où l'on ne pose pas de questions, surtout, un monde où l'on ne répond pas aux questions... C'est un monde où règne une espèce d'obscurantisme tacite et effrayant. Dès les premières pages, on pressent la qualité générale de la série. Le long monologue dans le désert du futur Monsieur Mardi-Gras Descendres annonce la qualité des dialogues, avec une forte dose d'humour noir. « J'ai gardé mon corps... Du moins l'essentiel... » lance notre personnage dans ses premiers moments d'après vie, en se touchant les cotes... Au début de la série, Liberge met en place un système qui caricature malicieusement celui effectif chez les vivants. Arrivé chez les morts, Victor Tourterelle est accueilli tardivement par un fonctionnaire de la poste venu régler avec lui les quelques formalités administratives ! On croit à un moment que la série va prendre cette orientation : la critique poétique et onirique du monde des vivants par celui des morts. Une espèce de « Brazil de l'au-delà »... Mais la série se fait beaucoup plus complexe que cela... Rapidement, on comprend que les quatre albums ne vont pas être si faciles à parcourir que cela...

A déguster calmement

Justement, il ne va pas falloir les parcourir, mais les boire, ces quatre albums, sans en laisser une goutte. La lecture de Monsieur Mardi-Gras Descendres se doit d'être préparée, isolée et très intensive. La série n'est pas facile d'accès. Plusieurs lectures seront mêmes nécessaires à beaucoup pour en tirer un contenu palpable, une substance. La difficulté de lecture va crescendo du premier au dernier tome. Et même à un rythme de lecture lent et posé, la substance philosophique, on oserait dire métaphysique, de la série ne plaira évidemment pas à un très large public.

Un dessin exceptionnel

Monsieur Mardi-Gras Descendres peut se déguster presque uniquement graphiquement. Le dessin d'Eric Liberge est d'une qualité exceptionnelle. Le plus surprenant dans cette série est de suivre une histoire où les personnages sont, à quelques détails près (un bout de cuivre par ci par là), tous identiques (des squelettes), et de ne jamais se perdre. Même au sein d'une foule gigantesque de squelettes, on retrouve toujours rapidement de l'oeil Descendres. On notera cette scène de foule, vingt-troisième page du premier tome, pendant laquelle notre oeil, trois cases durant, est aimanté par le personnage principal alors qu'aucune distinction franche ne soit venue baliser la scène... En plus du trait fouillé, détaillé, on trouve une technique inventive et au service de la narration. Tout au long de la série, on contemple des pleines-pages impressionnantes, de nombreuses vignettes de très grande taille, occupant le tiers ou la moitié de la planche... Une mise en cadre fort habile, au gigantisme rappelant Requiem Chevalier Vampire. Mais ici, pas de baroquisme. Même en couleur, tout donne l'impression d'être en noir et blanc.

« Ce purgatoire est-il en noir et blanc, ou bien en couleurs ? »

Pour sa réédition chez Dupuis, Monsieur Mardi-Gras Descendres a été colorisé, du début à la fin. Cette colorisation n'a pas été imposée par l'éditeur mais souhaitée par Eric Liberge, qui, explique-t-il dans sa préface, a toujours imaginé l'univers de Mardi-Gras Descendres en couleur. Le passage à la couleur, même s'il décevra certains lecteurs de la première heure, est somme toute réussi, portant même encore plus haut l'impression de froideur du récit d'origine.


L'univers de Mardi-Gras Descendres est déconcertant, à un point qu'il va laisser bien des lecteurs sur la touche dès le deuxième tome. La série n'est pas de celles qui fédèrent autour d'un scénario clair, limpide et concret, mais devrait surprendre une très large majorité de lecteurs pour sa qualité graphique exceptionnelle et sa créativité sans limites...


Tome 1 - Bienvenue ! (1998)
Tome 2 - Le télescope de Charon (2000)
Tome 3 - Le pays des larmes (2001)
Tome 4 - Le Vaccin de la Résurrection (2005)